Du Lavisse au Bescherelle, ces manuels qui ont marqué des générations d’élèves

Publié par Université de Montpellier UM, le 8 septembre 2020   530

Sylvain Wagnon, Université de Montpellier

Lavisse, Bled, Bescherelle, Lagarde et Michard, autant de noms qui restent irrémédiablement liés aux manuels d’histoire, de conjugaison, d’orthographe ou de littérature dont ces professeurs sont les auteurs. Leurs ouvrages ont marqué l’histoire scolaire des XIXe et XXe siècles, faisant partie de la panoplie de référence des élèves.

Comment expliquer cette longévité ? Comment ces manuels sont-ils devenus les symboles d’une certaine culture scolaire ? Que nous révèlent-ils sur l’organisation de l’Éducation nationale et la façon d’enseigner jusqu’à aujourd’hui ?

Témoins de leur temps et objets de recherche, les manuels scolaires doivent être appréhendés de manière globale. Pionnier dans leur étude, Alain Choppin a bien montré que le manuel était une fausse évidence historique, recouvrant une diversité de formats et d’usages. Outils de mise en œuvre des programmes, traits d’union entre l’institution, les enseignants, les élèves, et les parents, les manuels sont des piliers de l’élaboration d’une culture scolaire, pour reprendre le terme d’André Chervel, issue d’un savoir universitaire encyclopédique

Leurs contenus sont parfois contestés pour leurs partis pris. Par leur impossible neutralité ils ont véhiculé, hier comme aujourd’hui, des stéréotypes de genre et de classe. Même si l’on pronostique souvent leur mort face à l’extension des ressources en ligne, ils sont toujours là, sous forme papier ou numérique. La récente période de confinement n’a fait que confirmer cet état de fait avec une mise à disposition gratuite des manuels numériques, au nom de la continuité pédagogique.

Romans scolaires

Ernest Lavisse (1842-1922) fut l’un des auteurs les plus prolifiques et les plus publiés des éditions Armand Colin, avec plus de 20 millions d’exemplaires vendus, pour tous les niveaux d’enseignement. Historien reconnu, il élabore un « roman national » autour d’une histoire scolaire centrée sur la France, sa puissance et ses personnages masculins mythifiés.

Le Tour de France par deux enfants. Jean Poussin/Wikimedia, CC BY

Dans le même esprit, Le tour de France par deux enfants d’Augustine Fouillée, qui signe sous le pseudonyme de G. Bruno, dont la première édition date de 1877, reflète cette même conception du manuel et de la leçon-modèle : un récit encyclopédique qui permet à l’enseignant d’être le pivot de la transmission du savoir, et de développer un discours patriotique dans la France de l’après-guerre de 1870 et de la construction républicaine.

Ce que l’on appelle communément « les petit Lavisse » resteront jusqu’à la Seconde Guerre mondiale les manuels d’histoire de références. Aujourd’hui, bien évidemment, l’évolution de la discipline, celle de l’enseignement vers une réflexion fondée sur l’étude de documents, font du Lavisse un vestige d’une histoire ancienne. Néanmoins, ces ouvrages sont constamment réédités jusqu’à aujourd’hui comme références d’une histoire ancienne et nostalgique.

Langue et littérature françaises

Alors qu’Ernest Lavisse, universitaire, écrit pour les enseignants et les élèves à partir de sa conception de l’histoire, Odette et Édouard Bled, instituteurs, conçoivent leur manuel d’orthographe et de grammaire à partir de leurs observations de « terrain ». Incontournable pour toutes les générations d’écoliers depuis sa première édition en 1946, le Bled est souvent associé au « Bescherelle », manuel de conjugaison des verbes.

Soutenus par l’institution scolaire, ces deux ouvrages sont encore perçus comme des ouvrages « officiels », indispensables de la scolarité. Ils n’en reflètent pas moins une certaine vision de l’enseignement. Édouard Bled sera un farouche opposant à toute réforme orthographique et le Bescherelle, en se fondant exclusivement sur un apprentissage par cœur, ne prend pas en compte l’évolution de l’enseignement vers la prise en compte du contexte ou l’analyse d’un texte.

Lagarde et Michard, réédition 1993. Bordas éditions

Enseignants du secondaire, puis inspecteurs généraux, André Lagarde et Laurent Michard publient à partir de 1948 une série de manuels scolaires composés d’extraits de textes littéraires de références, d’illustrations et de biographies. Leur première publication marque une révolution éditoriale. Sur six volumes au total, ils proposent, chronologiquement, une anthologie de la littérature française.

Aujourd’hui, les Lagarde et Michard apparaissent plus comme des symboles d’un enseignement secondaire fondé sur l’encyclopédisme. D’autre part, dans le contenu, les choix de certains extraits de textes et de commentaires sont sujets à critiques. Il n’en reste pas moins que ces ouvrages, qui ont eux aussi dépassé les 20 millions d’exemplaires vendus, restent des références pour certains enseignants et surtout la mémoire de plusieurs générations de lycéens.

Outil d’échanges

On peut donc légitimement s’interroger sur la longévité de ces ouvrages. S’agit-il d’une capacité hors norme de leur part à se renouveler ou le symptôme d’une certaine inertie pédagogique ? Les pédagogues d’éducation nouvelle comme Célestin Freinet au début du XXe siècle ont critiqué ce magister des manuels, supports qui empêcheraient une réflexion autonome des élèves.

Depuis les années 1960, les manuels ne sont plus seulement des livres d’auteurs mais d’équipes. Plus aucun manuel n’a un tel monopole et les multiples maisons d’édition rivalisent d’ingéniosité pour proposer des manuels possédant des illustrations et des documents de haute qualité, et qui prennent en compte l’évolution des méthodes pédagogiques. Il faut préciser que les livres scolaires représentent entre 12 et 18 % du chiffre d’affaires de l’édition française.

Ensuite, l’usage des manuels dans les classes est un sujet complexe. Ils sont une référence, un appui pour la transmission des savoirs pour les enseignants mais aussi un intermédiaire de communication sur les programmes vis-à-vis des parents, et la période du confinement l’a bien montré.


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Jusqu’à aujourd’hui, les usages du manuel scolaire induisent également une culture et une forme scolaire spécifique, où l’enseignant et son savoir transmis sont au centre de l’institution. Pour l’instant, la révolution du numérique ne semble transformer que peu les choses. Perçus comme des outils privilégiés des apprentissages, les manuels se doivent aussi d’être des outils pour comprendre les mutations de nos sociétés, et des vecteurs pour transformer nos façons de voir.The Conversation

Sylvain Wagnon, Professeur des universités en sciences de l'éducation, Faculté d'éducation, Université de Montpellier

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