Des communautés locales aux collaborations régionales, les clés de la résilience du mil chandelle

Publié par IRD Occitanie, le 16 mars 2021   820

Garantir la sécurité alimentaire des populations face aux changements climatiques est l’un des plus grands défis de nos sociétés, en particulier en Afrique. Publiée dans Nature Communications, une étude multidisciplinaire impliquant des scientifiques des UMR DIADE et ESPACE-DEV met en évidence les zones vulnérables pour la culture du mil chandelle, céréale incontournable au Sahel, et propose des solutions.

Le troc des semences existe certainement depuis l’aube de l’agriculture mais l’organiser à grande échelle pour jongler avec les ressources génétiques d’une céréale afin de procurer aux populations du Sud des solutions durables nécessite une mobilisation régionale.

Champ de mil

© Ndjido Kane

Un constat : l’agriculture est très dépendante des conditions climatiques

Depuis la naissance de l’agriculture, il y a quelques 10 000 ans, les sociétés humaines se sont organisées et ont évolué vers une industrialisation qui relègue presque partout la production agricole à la portion congrue. Mais le contexte de réchauffement global qui s’accélère et la récente pandémie ont rebattu les cartes en ce qui concerne la perception des questions de sécurité alimentaire. Et de fait, l'agriculture mondiale reste très dépendante des conditions climatiques aussi bien dans les régions tempérées que dans les régions tropicales. « Les hautes températures peuvent par exemple bloquer le développement de la floraison des plantes et empêcher la formation des graines que nous consommons, explique Yves Vigouroux, généticien IRD à l’UMR DIADE. Toutefois, rien n’est perdu : il existe une biodiversité agricole exceptionnelle qui a permis aux paysans de coloniser des écosystèmes contraignants, des déserts jusqu'aux hauts plateaux des Andes et de l'Himalaya ». En zones arides de l’Afrique sub-saharienne, il y a près de 4900 ans, les cultivateurs ont domestiqué le mil. Sans surprise, cette céréale (Pennisetum glaucum) est la plus tolérante à la sécheresse et elle a su s’adapter au fur et à mesure qu’elle migrait vers le sud, l’est et l’ouest. Appelé mil chandelle à cause de ses longs épis, cette céréale constitue une denrée de base essentielle de l’alimentation encore aujourd’hui pour 90 millions de familles d’agriculteurs vivant dans les régions du monde les plus arides. Exploiter cette biodiversité peut apporter, dans un futur proche, des solutions durables aux agriculteurs confrontés aux incertitudes climatiques.

a Photo d'un champ de mil chandelle au Sénégal - b Panicule de millet perlé à floraison précoce du Sénégal - c Carte des 173 entrées de mil perlé considérées dans cette étude. d Analyse en composantes principale des variétés locales de mil perlé

© Rhoné et al., 2020

Une solution : prédire la diversité idéale du mil à l’horizon 2050

Aborder ces questions de durabilité nécessite des approches qui intègrent la diversité des plantes, les climats actuels et les scénarios d'évolution futurs, l'intégration des données dans des modèles, ainsi que des analyses de terrain sur l'adaptation des variétés. Les travaux publiés dans le cadre du projet Future Climate For Africa (projet AMMA-2050) ont mobilisé diverses disciplines (climatologie, agronomie, génomique des populations, intelligence artificielle) et des scientifiques de l’IRD, du CIRAD, de l’Institut Sénégalais de Recherches Agricoles (ISRA) et de l'Université Abdou Moumouni au Niger. Les ressources génétiques exceptionnelles [173 variétés] rassemblées dans les cinquante dernières années par différents chercheurs de l'IRD et leurs partenaires en Afrique constituent le socle de cette étude. L'analyse génomique de ces variétés a été associée avec les données climatiques collectées dans le cadre du projet AMMA2050 afin de développer des modèles de relations diversité / climat. Intégrer la diversité génétique intra-spécifique dans des modèles prédictifs a élargi l’éventail des méthodes existantes. « La projection des climats de 2050 a permis de prédire ce que devrait être la diversité idéale des variétés capable de répondre à ces conditions climatiques et d'identifier les zones où une adaptation forte serait nécessaire », dévoile Dr Ndjido Kane, chercheur à l’ISRA. Leurs résultats mettent en évidence des zones agricoles très sensibles aux changements climatiques. « Nous avons montré que ces zones vulnérables sont fortement corrélées aux caractéristiques de floraison des variétés, précise Yves Vigouroux.  Par exemple les zones de transition entre la culture des variétés tardives et des variétés précoces ainsi que les zones extrêmes Nord et Ouest de cultivation ».

Migration assistée des variétés de mil chandelle pour l'adaptation au climat futur à l'horizon 2050.

© Rhoné et al., 2020

Une nécessité : stratégie régionale basée sur la mobilisation des ressources génétiques

La disponibilité croissante des ressources génomiques permettra de favoriser certains traits morphologiques essentiels à l’adaptation des variétés de mils aux conditions particulières à un site donné, notamment la durée de floraison appropriée. Pour passer de ce constat à la mise en place de solutions visant à limiter les impacts négatifs du réchauffement sur cette plante vitale, les scientifiques misent sur la migration organisée des variétés répertoriées sur l'ensemble de l'aire de culture. « Nos résultats de modélisation suggèrent que, pour être pleinement efficace, la circulation des ressources génétiques devra s’opérer à l’échelle régionale avec des collaborations entre pays d’Afrique de l'Ouest », ajoute Adeline Barnaud, co-promoteur de l’étude et chercheure à l’IRD. Démontrer l'utilité de l’agro-biodiversité pour l'adaptation au changement climatique est une première étape vers cette solution potentielle ; la suivante sera le développement des capacités locales et l’implication directe des acteurs de terrain tels que les agriculteurs et les ONG.  

Publication : Rhoné, B., Defrance, D., Berthouly-Salazar, C. et al. Pearl millet genomic vulnerability to climate change in West Africa highlights the need for regional collaboration. Nat Commun 11, 5274 (2020). https://doi.org/10.1038/s41467-020-19066-4  

Aller plus loin :

Contacts science : Yves Vigouroux, IRD, UMR DIADE YVES.VIGOUROUX@IRD.FR 

 Adeline Barnaud, IRD, UMR DIADE ADELINE.BARNAUD@IRD.FR 

 Ndjido Kane, ISRA, CEERAS NDJIDO.KANE@ISRA.SN 

  Contacts communication 

Fabienne Doumenge, Julie Sansoulet COMMUNICATION.OCCITANIE@IRD.FR


Source : https://www.ird.fr/des-communa...