Chers envahisseurs

Publié par Université de Montpellier UM, le 18 octobre 2017   1.1k

69 milliards d’euros. C’est le coût annuel des dégâts provoqués par les insectes envahissants dans le monde. Un chiffre nettement sous-évalué selon les chercheurs qui soutiennent que la facture serait en réalité bien plus élevée…

Il mesure à peine quelques millimètres, et il nous coûte des milliards... Originaire d’Asie, le termite de Formose est arrivé aux Etats-Unis à la fin de la seconde guerre mondiale, tapi dans les caisses de bois des GI qui rentraient au pays. Une fois débarqué sur le continent américain, l’insecte a trouvé un climat propice à son développement et a colonisé petit à petit ce nouveau territoire. Problème : ce petit xylophage qui fait feu de tout bois pour satisfaire son insatiable appétit ravage les habitations. Et l’addition est salée : chaque année le termite de Formose coûterait 26,7 milliards d’euros à la collectivité.

Comme lui, des dizaines d’espèces d’insectes profitent de la mondialisation des échanges pour coloniser de nouveaux territoires conquis à la faveur du transport de containers, cargaisons et autres marchandises. Une fois installés, ces petits clandestins peuvent occasionner des dégâts importants, grignotant les maisons, les récoltes, ou propageant de nouvelles maladies. Des insectes envahissants qui coûtent cher, très cher… Pour évaluer la facture, une équipe de chercheurs réunissant entomologistes, écologues et économistes a passé en revue 737 publications portant sur l’impact des 10 principales espèces d’insectes envahissantes. Verdict : le coût des dégâts provoqués par ces insectes s’élèverait au moins à 69 milliards d’euros par an.

Insectes ravageurs

Si les bâtiments payent un lourd tribut au termite de Formose, l’agriculture est également un secteur très impacté par les espèces envahissantes. « Les insectes dans leur ensemble consomment 40 % des récoltes », précise Frédéric Simard, directeur du laboratoire Mivegec (1) et co-auteur de cette étude. 40 % de la production agricole, soit de quoi nourrir un milliard d’êtres humains. Parmi les ravageurs les plus virulents on retrouve la teigne des choux, insecte envahissant qui se repaît des crucifères en tout genre et occasionne pas loin de 4,1 milliards d’euros de dégâts par an.

Autre secteur impacté : la santé. « Le coût global attribuable aux insectes envahissants dans ce domaine dépasse 6,1 milliards d’euros par an », précise Frédéric Simard. Principaux responsables : les moustiques Aedes, vecteurs de la dengue, dont le moustique tigre maintenant présent dans la région. « Et encore ce montant ne tient compte que des coûts directs, le prix des soins, des hospitalisations par exemple. Mais il ne tient pas compte des coûts indirects », prévient l’entomologiste. Comme par exemple l’absence au travail d’un salarié malade ou ses éventuelles séquelles, ou encore « le coût nécessaire pour former les médecins à la prise en charge de cette maladie », rajoute Jean-Michel Salles, économiste au Lameta (2) et lui aussi co-auteur de l’étude.

Le sommet de l’iceberg

Ces petites bêtes nous coûteraient donc plus de 69 milliards ? « Bien plus ! » admettent les spécialistes qui avouent que ce chiffre n’est que la partie émergée de l’iceberg. « Il y a de nombreuses espèces pour lesquelles nous n’avons pas de données et de nombreuses régions qui n’ont pas été étudiées, la plupart des études que nous avons trouvées concernent essentiellement les Etats-Unis et un peu l’Europe, rien en Afrique, très peu en Amérique du Sud et en Asie », souligne Frédéric Simard. « Il y a également des paramètres qui sont très difficiles à chiffrer, comme par exemple les conséquences sur les écosystèmes locaux et les effets en cascade liés à l’arrivée des espèces envahissantes », complète Jean-Michel Salles.

Ces dernières peuvent en effet éliminer des espèces concurrentes et redessiner l’écosystème dans lequel elles ont élu domicile. A l’image du frelon asiatique qui dévore les abeilles à l’entrée des ruches par exemple. Or ces mêmes abeilles appartiennent à la grande famille des 2 500 espèces d’insectes pollinisateurs qui contribuent à la reproduction sexuée des plantes à fleurs, et sont donc indispensables à de nombreuses cultures vivrières. Un service rendu gratuitement mais qui se convertit pourtant en espèces sonnantes et trébuchantes.

Dans une étude publiée en 2009, Jean-Michel Salles avait évalué l’impact du déclin des pollinisateurs sur l’économie. « 35 % des aliments d’origine végétale proviennent de cultures dépendant en partie des pollinisateurs, explique l’économiste, leur apport aux principales cultures mondiales a été évalué à 153 milliards d’euros ». Un chiffre basé sur les prix agricoles de 2005 et qui serait donc « certainement revu à la hausse » aujourd’hui.

Investir dans la prévention

Si l’on ajoutait l’ensemble des sommes non prises en compte dans l’étude, les chercheurs imaginent que le coût réel des espèces envahissantes pourrait se monter à plusieurs centaines de milliards d’euros. Comment faire pour réduire la facture ? « Il faut mettre en place des politiques de prévention pour limiter l’arrivée et la propagation des insectes envahissants », réclament les chercheurs. Une ligne de conduite qui passe par une surveillance accrue mais aussi par la mise au point de méthodes d’élimination ou de contrôle respectueuses de l’environnement comme des insecticides moins polluants. « Il faut aussi multiplier les études ; ce que nous avons fait là n’est qu’un état des lieux qui permet d’évaluer l’ampleur du phénomène, mais qui met également en exergue l’étendue de nos lacunes sur le sujet. Il faut réaliser d’autres études pour s’en faire une idée plus précise », conseillent les chercheurs.  

(1) Maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle

(2) Laboratoire montpelliérain d’économie théorique et appliqué