Ayahuasca : rêver avec les yeux ouverts... des rituels expliqués par la science !

Publié par Agence Cosciences, le 5 août 2020   11k

Cet article est réalisé par Laura Bello, stagiaire Erasmus à Cosciences.

Il était une fois en Amérique du sud, une  tribu qui habitait l’Amazonie, entourée de plantes et de nature. Dans cette tribu, il y avait un chaman. Cet homme invoquait les esprits et utilisait des pouvoirs pour traiter des maladies. Ce genre de techniques spirituels ne semble pas du tout scientifique. Ce chaman utilisait une combinaison des plantes qui avait un effet dans le cerveau pour qui le prenait, afin de traiter des maladies. Et cela n’était pas magique, c’était simplement scientifique.

C’est quoi l’ayahuasca ? Origines et molécules.

L’ayahuasca s’obtient à partir de l’ébullition de la liane au doux nom de Banisteriopsis caapi, triturée ensemble avec sa copine, une plante qui s’appelle Psychotria viridis. Ce mélange constitue une boisson hallucinogène et l’effet qu’elle a sur le cerveau n’est pas du tout imaginaire [1].

Il y a longtemps que les chamans de diverses tribus utilisent l’ayahuasca dans un contexte religieux mais son usage est en train de se propager. Par exemple, quelques cérémonies religieuses au Brésil l’utilisent. Sa consommation est très étendue dans les tribus de l’Amazonie et dans la société métisse du Pérou, de l’Équateur et de la Colombie, où les chamans utilisent cet hallucinogène dans ses rituels comme un outil médical : ils croient que l’ayahuasca nettoie le corps et l’esprit (ce qu’ils appellent "la purga") de la personne qui le prend [2].

Chaque plante est constituée d’un ensemble de molécules, et c’est le mélange des deux plantes et sa décoction qui produit l’effet de l’ayahuasca. La Psychotria viridis a une molécule très particulière : le dimetitriptamine (DMT). Cette molécule avec un nom long et bizarre est une enthéogène. Kezako ? Une enthéogène est une substance chimique, naturelle ou synthétique, qui produit des changements temporaux de la perception du temps, de soi-même et de l’environnement (avec des expériences négatives et positives). Les enthéogènes peuvent aussi modifier l’état de conscience [3]. 

La Banisteriopsis caapi a des inhibiteurs de la monoamino oxidase (IMAO). On utilise cette molécule comme un type de médicament contre la dépression et elle empêche que la DMT soit expulsé du corps. Alors, sans l’IMAO on ne pourrait pas avoir les effets du DMT, au moins pas si forts ! Ainsi, des grandes quantités de DMT arrivent au cerveau et affecte le système nerveux central, le contrôleur de ce qu’on fait, comme on se relie aux autres, ce qu’on pense et ce qu’on sent [4].

Comment ça marche exactement, les effets du DMT dans le cerveau ?

Le DMT ressemble beaucoup à un neurotransmetteur qui s’appelle la sérotonine. Alors, neurotransmetteur ? Sérotonine ? On va y aller doucement. C’est quoi un neurotransmetteur ? C’est une molécule qui sert à la communication entre des neurones, les principales cellules présente dans notre cerveau (mais pas que...). On a diverses neurotransmetteurs qui ont des fonctions différentes. Par exemple, la dopamine s’occupe de la motivation et la récompense. Un autre exemple est la noradrénaline, qui permet la réponse de notre corps face à un danger comme par exemple, augmenter le flux sanguin ver les muscles ou augmenter la fréquence cardiaque.

La sérotonine est un neurotransmetteur qui régule les quantités des autres neurotransmetteurs, ce qu’on appelle un neuromodulateur. Mais elle ne s’occupe pas que de ça. Elle a plein de fonctions dans notre cerveau : la régulation de l’état d’esprit, l’agressivité, la sexualité, l’appétit, la colère, le comportement social et même des fonctions cognitives comme la mémoire et l’attention. Son métabolisme est altéré dans quelques maladies psychiatriques comme la dépression et l’anxiété [5].

Comme le DMT  ressemble à la sérotonine, il peut se coller à son récepteur et le stimuler, car il interprète que c’est la sérotonine qui est collé à lui, au lieu du DMT. Alors, quand le DMT stimule le récepteur, le récepteur fait ce qu’il sait faire. Et c’est comme ça que les effets de la sérotonine sont augmentés, comme si on avait une quantité très importante de ce neurotransmetteur. Pourtant, le DMT dans l’ayahuasca donne une augmentation des fonctions cognitives contrôlées par la sérotonine et aussi de la neuroplasticité [6]. La neuroplasticité est la capacité du cerveau pour changer sa structure et fonctionnalité au cours de la vie, et qui permette l’adaptation à l’environnement, la mémoire d’apprentissage et la réhabilitation après une lésion au cerveau [7]. C’est ce qui nous permet d'apprendre !    

Figure 1. On obtient l’ayahuasca à partir du mélange et de l'ébullition de Psychotria viridis et Banisteriopsis caapi. Quand on le consomme, le système sérotoninergique du cerveau augmente son activité.

Effets psychologiques, voir même thérapeutiques ?

L’ayahuasca finit par affecter tout le système sérotoninergique, cela ne tombe pas juste sur la cognition, mais aussi sur le comportement. L’ayahuasca, grâce au récepteur de la sérotonine, peut induire un état de conscience caractérisé par de l'introspection, des visions et des souvenirs autobiographiques et émotionnels [6].

Comme on a vu, ses effets sont divers, mais on n’a pas encore fini ! Il y a des cas où l’ayahuasca a été efficace contre la dépression et l’anxiété. Ces effets thérapeutiques ne surprennent pas beaucoup car le système sérotoninergique est fortement impliqué dans ces maladies, et l’influence du DMT sur ce système aide à améliorer la symptomatologie, c’est-à-dire, l’ensemble d’altérations qui se produisent dans le corps humain quand on a une maladie [6].

Attention, ce n’est pas un médicament !

Pour le moment, on ne peut pas dire qu’on pourra utiliser cette substance contre ces maladies. Il faut encore en savoir plus sur ces effets. Quand même, comme on a vu, l’ayahuasca ne fait pas que traiter la symptomatologie de la dépression et l’anxiété, elle apporte aussi des effets secondaires qui ne sont pas toujours désirables: nausées, vomissements, hyperthermie… [4] On trouve aussi des cas avec des épisodes psychotiques et avec de la schizophrénie, associés à l’ayahuasca et la DMT, mais ils sont rares et souvent reliés à la consommation préalable de drogues. C'est quand même un risque qu’on ne veut pas courir [1].

Il est vrai que cette substance n’est pas addictive, que sa toxicité est faible et que ses effets peuvent tenter la curiosité, mais l’ayahuasca a ses risques et donc sa consommation est fortement déconseillée [4,6]. Concernant la légalité de cette substance, toutes les plantes utilisées pour faire l’ayahuasca sont illégales. En plus, la DMT est devenue illégale dans la plupart des pays et en France est considéré comme un stupéfiant [8]. Il faut faire attention parce qu’il faut encore en savoir plus sur cette boisson hallucinogène qui produit des actions multiples (bonnes et mauvaises). On ne doit pas oublier qu’on est en train d’introduire une substance étrangère à l'intérieur de son corps. La toxicité est faible mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a en a pas.

Petite curiosité :  l’ayahuasca et la musique !

Pour finir, je vous glisse une petite curiosité sur cet hallucinogène : saviez-vous que l’ayahuasca a été repris par beaucoup de groupes artistiques ?  Le groupe espagnol Mago de Oz dédie une chanson qui s’appelle « La soga del muerto (ayahuasca) » à cette plante, et le groupe péruvien de musique électronique Dengue Dengue Dengue base sa musique et ses vêtements sur les rituels avec ayahuasca. Alors, après ce qu’on sait maintenant, on ne peut plus dire que ces tribus en Amazonie n’utilisent que des techniques spirituelles. Derrière ces rituels, on trouve de la science !  

                     

Références:

1. Dos Santos RG, Bouso JC, Hallak JEC. Ayahuasca, dimethyltryamine, and psychosis: a systematic review of human studies. Ther Adv Psychopharmacol. 2017; 7(4): 141-57.

2. McKenna D, Riba J. New world tryptamine hallucinogens and the neuroscience of ayahuasca. CurrTop Behav Neurosci. 2016; 36: 283-311.

3. Vollenweider FX. Brain mechanisms of hallucinogens and entactogens. Dialogues Clin Neurosci. 2001; 3:265–79.

4. Callaway JC, McKenna DJ, Grob CS, Brito GS, Raymon LP, Poland RE, Andrade EN, Andrade EO, Mash DC. Pharmacokinetics of Hoasca alkaloids in healthy humans. J Ethnopharmacol. 1999; 65(3) : 243–56.

5. Mohammad-Zadeh LF, Moses L, Gwaltney-Brant SM. Serotonin: A Review. J Vet Pharmacol Ther. 2008; 31(3): 187-99.

6. Dominguez-Clavé E, Soler J, Elices M, Pascual JC, Àlvarez E, Revenga MF, Friedlander P,Feilding A, Riba J. Ayahuasca: pharmacology, neuroscience and therapeutic potential. Brain Res Bull. 2016; 126(1): 89-101.

7. Gulyaeva NV. Molecular Mechanisms of Neuroplasticity: An Expanding Universe Biochemistry (Mosc). 2017; 82(3): 237-242.

8. https://www.ayahuasca-info.com...