Retour sur l'apéro #3 des Brasseurs de sciences : "Partageons nos ratés !"

Publié par Morgane Bouterre, le 6 décembre 2017   1.7k

Cela a déjà dû vous arrivez à plusieurs reprises, au moins une fois dans votre vie… et certainement quelques fois au travail. Oui ! Nous avons tous ratés quelque chose ! Mais heureusement pour nous, l’erreur est humaine et c’est en tombant qu’on apprend ! :-) De rassurants dictons qui ont été savamment inventer pour dédramatiser ces sortes de situations.

Pour ce troisième volet des « Brasseurs de sciences », c’est une forme spécifique de ratés qui nous intéresse. 

Nous ne parlerons donc pas de nos derniers ratés en cuisine, ni de notre dernière coupe de cheveux ratés et encore moins de nos ratés amoureux… (quoique)… Non, ce sont nos ratés en médiation/communication scientifique que nous allons partager ensemble ce soir, car, rappelons-le, c’est un peu le sujet de nos rencontres informelles.

Nous nous sommes donc donnés rendez-vous au Bar du Salmanazar, le mercredi 15 novembre dernier, pour une soirée confidence sans tabou, et sans intervenant spécifique. Rentrons dans le vif du sujet avec une première question générale. 

Qu’est-ce qu’un raté en médiation/communication scientifique ?  

« Dans le sens de raté, j'entends "rater sa cible". On a un objectif défini, on identifie sa cible, mais on ne parvient pas à l’atteindre. C’est ce que représente un raté pour moi »

« Dans la même idée, concernant les cibles, nous avons organisé la première édition du festival Pint of Science l’an dernier à Toulouse. Les bars étaient pleins, mais pas du public que nous attendions ! C’était surtout des personnes qui gravitent professionnellement dans le domaines de la recherche scientifique et des labos, alors que le but du festival est d’amener la science au grand public. En ça, on peut dire qu’on a raté notre cible même s’il y a eu beaucoup de monde...»

« Nous proposions une exposition sur le climat à destination des scolaires pour une large tranche d’âge allant du CP à la Troisième. Nous nous sommes longuement posés la question du contenu. Comment l’adapter à un large écart ? Après les visites, nous nous sommes rendu compte que nous avions ratés notre démarche envers les plus jeunes. Nous avons proposé trop de contenu pour expliquer le phénomène alors qu’au final, avec cette tranche d’âge, la simplicité reste souvent de rigueur. Il suffit souvent d’arriver à capter les plus jeunes avec des choses simples...»

« Nous avions loué une exposition sur la mécanique pour une cible allant de 2 à 7 ans à un centre de sciences… C’était finalement une exposition très complexe à mettre en oeuvre car les manipulations proposées n’avaient aucune interaction avec le quotidien de petits. La médiation autour de cette exposition a été difficile à concevoir et au final, nous sommes partis dans l’idée d’une médiation autour de l’expérimentation. Par exemple, une manip où les petits devaient soulever un sac pour leur expliquer le poids, mais sans forcément leur permettre de percevoir le lien avec leur quotidien...  »

« Pour ma fin d’étude en médiation scientifique, je suis allé faire un stage au Pays-Bas dans une structure muséographique. J’ai travaillé sur un projet qui consistait à apporter la science aux quatre coins du monde en envoyant des conteneurs proposant une exposition sur les Sciences de l’univers… Sauf que le Musée n’avait pas vraiment identifié les cibles, ni  proposé de questionnaire au préalable pour définir celles-ci, et le contenu paraissait trop large pour des publics aussi divers que variés. J’ai eu des échos de la suite de ce projet : les publics ont réutilisés les conteneurs de façon totalement détournée (cafés, espaces d’art, etc) et assez loin de l’objectif initial. »  

« On se demande rarement ce que les publics ont besoin. Le contenu est élaboré selon ce que nous souhaitons leur apporter. Bien sûr, nous adaptons nos messages dans l’animation en nous intéressant à ce qu’ils veulent connaître, à leur vie, mais on le fait rarement en amont du projet de médiation »

Et la communication dans tout ça ? Des ratés ?

« Oui, un raté de communication avec les médias ! Au Musée Saint-Raymond de Toulouse, nous avons eu l’idée d’organiser un événement à l’occasion de la Saint-Valentin. L’idée était d’inviter le public à un speed dating avec les sculptures du Musée. Le public pouvaient rencontrer les statues antiques qui adoptaient pour l’occasion de charmante voix pour se présenter. La communication était basée sur le second degré et les médias ont bien fait passer le message. Les "soirées Mythic", comme nous les avions nommées, ont eu de très bons retours la première année d’opération, ce qui nous a poussés à réitérer l'année suivante. Pour la deuxième édition, les journalistes n’ont pas laissé transparaître l’aspect second degré et ont fait passer le message de soirées célibataires dans un musée. Et entre temps, le célèbre site de rencontre Meetic s’est lancé dans les soirées de célibataires. Résultat des courses : nous nous sommes retrouvés avec de nombreux célibataires en demande de speed dating et non pas de culture. Nous nous sommes sentis dépassés par la situation et, avec le recul, nous avons décidé de ne pas renouveler ces soirées. Morale de l’histoire, les discours de communication assez fin et nuancé ne sont pas toujours facile à faire comprendre aux médias »

Illustration par Sarah Debaud

« Dans le cadre d’un congrès organisé par le CNRS, nous avions décidé de proposer une promenade géologique aux journalistes. Nous avons donc fait parvenir une invitation presse. Le jour J, ce ne sont pas les journalistes que nous avons retrouvés, mais du public. Au final, les journalistes avait fait passer l’invitation dans les médias, en la transformant en événement public. Depuis, nous organisons cette promenade à destination du public également »

Il arrive même que nos ratés s’avèrent être de véritables réussites inattendues !

« Dans le cadre d’un festival, je devais organiser un petit jeu concours sur le thème des cinq sens qui avait pour simple but de récupérer des adresses mails. J’avais préparé des petites manips très simples, rien de transcendant… Je ne m’attendais pas à ce que beaucoup de monde s’y intéresse au vu de l’ampleur du festival. Il y a eu tellement de monde que j’ai dû stopper l’opération avant même la fin du festival ! »

Et parfois, faire participer le public est plus dur qu'il n'y paraît et engendre quelques complications…

« L’idée était de proposer un jeu transmédia pour une cible de 15-25 ans. Ce jeu consistait à raconter une histoire à travers différents médias pour lancer les participants dans un jeu de piste à travers les rues de Toulouse et finalement terminer leur parcours au sein d’une exposition liée au jeu. Nous avions au préalable fait analyser par un cabinet spécialisé la pertinence de ce format pour une cible de cet âge. Il y a eu beaucoup d’inscriptions au jeu. On pensait aller droit dans le mille ! Et finalement, à la sortie du jeu dans l’exposition, très peu de monde… Alors pourquoi ce résultat, alors que nous avions évalué le public en amont ? Nous nous sommes rendu compte que ce format était assez complexe, il en demandait trop au public. C'est bien de vouloir faire participer, rendre acteur. Mais faut pas non plus aller trop loin dans l'implication. Et puis, ce genre de formats marche, mais dans un contexte de divertissement, auprès d'une communauté déjà formée, comme des fans par exemple. Là, ça ne fonctionnait pas en l'appliquant bêtement à notre contexte ! »

« J’ai dû concevoir un escape game itinérant sur le thème de l’espace. Nous l’avons testé lors d’un festival. Je me suis fait du souci sur la façon dont le public pouvait l’utiliser et casser certaines choses. Mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit à ce point-là. C'est pas simple d'arriver à rendre un projet à la fois interactif et indestructible. »

« J’avais proposé un jeu de piste pour des enfants de 8 ans dans lequel j’avais disposé un message invisible écrit au jus de citron. J’avais posé  le briquet à côté pour qu’ils puissent le lire. Sauf que je n’avais pas du tout anticipé qu’ils ne puissent pas comprendre l’idée. Résultat, ils ont brûlé la feuille…»

Illustration par Sarah Debaud 

Comment communiquer sur des sujets difficiles, polémiques ? Comment expliquer sans essayer de convaincre ?

« Travaillant dans la recherche en biologie, j’ai déjà eu à donner des conférences grand public. Forcément, entre en scène les pratiques d’expérimentation animale quand on parle de biologie. Pendant longtemps, il nous était interdit de prononcer le mot “animal” pour parler d’expérimentation. Nous adoptions alors le termes d’”individus”. Sauf que le public n’est pas aussi bête que ça, il comprend bien que derrière le terme “individus”, il se cache quelque chose d’autre... Suite à une question de cet ordre durant ma conférence, j’ai commencé à caffouiller… J’ai finalement pris le parti d’expliquer, de dire la vérité sur nos pratiques en justifiant que la recherche en biologie est malgré tout soumise à des comités d’éthiques en ce qui concerne l’expérimentation animale. Pour ne pas perdre notre légitimité et notre professionnalisme, je pense qu’il ne faut plus prendre le public pour des “cons” et toujours préférer la vérité ! »

« J’ai participé à un projet de start-up dans le domaine de la biotechnologie qui utilisait des OGM pour intégrer la bioluminescence dans les villes. Nous avions lancé la communication en parlant directement de l’utilisation des OGM, ce qui fût une erreur, car le sujet des OGM est encore trop polémique. Après de nombreux essais/erreurs, nous avons modifié notre discours en vulgarisant, en détournant le terme OGM pour ne l'employer qu'en toute fin. Ca a remis en question ce que le public pensait savoir sur la question. Les retours ont été complètement différents, d’où l’importance de bien travailler son message de communication. »

« Pour maîtriser le débat, il faut imposer des règles dès le départ. Désigner un animateur de débat, limiter les temps de parole, et il faut que tout le monde soit convaincu objectivement d’une méthode de débat pour ne pas se laisser dépasser par d’éventuels meneurs. »

C’est raté pour cette fois, mais rappelons le vieil adage « c’est en tombant qu’on apprend » ! Alors comment réagir quand on vient d’échouer ?

« Nous avons décidé de ne pas réitérer les soirées Mythic. Par contre, nous nous sommes appuyés sur cet échec pour lancer une nouvelle méthodologie. Nous voulions organiser des visites “pour ceux qui n’aiment pas les musées”. L’idée était de convaincre ce nouveau public à apprécier sa visite et à retenir des choses. Afin que le message passe, nous avons décidé de réaliser une visite “crash-test” avant l’évènement pour évaluer sa pertinence. Car qui étions-nous pour prétendre faire aimer les musées à ceux qui les rejettent ? L’évaluation du public qu’on cible est donc primordiale car on ne connaît pas automatiquement leurs attentes »

Après cet échange passionnant, place aux pitchs de projets. 

Un projet de café scientifique toulousain porté par Samuel Juillot et Arnold Oswald, deux amis d’enfance, est en cours de construction ! L'Eurêkafé, c'est le Café des Curiosités ! 180 m² d'étonnement en plein centre de Toulouse, où chacun pourra s'émerveiller, s'informer autour des sciences, se détendre ou encore travailler dans un cadre convivial. Des événements, conférences, un espace de co-working, tout pour éveiller sa curiosité ! Date d'ouverture prévue en février 2018. Affaire à suivre... 

Fabrice, un comédien, et intervenant dans les “Curieuses visites curieuses”  a eu l'idée d'un projet liant art et science autour d'un solex.  Ce serait un spectacle pour un jeune public autour du montage et du démontage d'un solex pour éveiller la curiosité autour de la mécanique.