Etre femme aujourd'hui : Que de temps perdu ! [Saison 3 - 2/2]

Publié par Claire Adélaïde Montiel, le 26 mai 2020   1.3k

Il appartient aux femmes elles-mêmes de parcourir ce « long chemin vers l’égalité » dont fait état l’excellent supplément du CNRS datant de mars 2010. Stéphanie Arc et Philippe Testard-Vaillant, à l’occasion du centenaire de la journée du 8 mars, y mettent en cause « la société qui attribue des rôles à chacun des sexes et tend à les présenter comme innés. »

« Si ces rôles ne sont pas déterminés à la naissance, » continuent ces deux auteurs dans le préambule de ce dossier passionnant, « pourquoi est-il si difficile d’y échapper et de les faire évoluer ? Comment le genre façonne-t-il notre société ? Et au final, pourquoi les femmes n’y trouvent-elles pas la place qu’elles devraient avoir ? »

La première étape était, pour les femmes de changer de positionnement, de s’affirmer en tant que personnes et de refuser les rôles subalternes qui leur étaient jusque là dévolus, d’oser avoir l’ambition de bien faire et d’être reconnues. Cela est d’autant plus malaisé que toute leur éducation les a conditionnées à se placer en éternelles secondes.

La deuxième étape et non des moindres, est pour les femmes de lutter contre l’un des pièges les plus insidieux parmi ceux qu’elles ont eu jusqu’à présent à combattre, de refuser Le mythe de la complémentarité et, ce faisant d’affirmer, leur capacité à gérer et à décider.

Certes, au XXIe siècle, nul n’oserait avancer comme Rousseau : « Tout ce qui tend à généraliser les idées n’est pas du ressort des femmes, leurs études doivent se rapporter toutes à la pratique ; c’est à elles de faire les observations qui mènent l’homme à l’établissement des principes ». Mais s’il faut en croire la sociologue Réjane Sénac, certaines grandes sociétés contemporaines donnent une version un peu plus sophistiquée et tout aussi pernicieuse de cette même affirmation en créant à la tête de telle ou telle grande entreprise dont une femme assure la direction, un binôme homme-femme, L’un qui prend des risques et l’autre qui gère en bonne mère de famille.  Un piège d’autant plus dangereux d’autant qu’il flatte l’un de leurs penchants dits naturels que la culture patriarcale leur a imposé depuis des millénaires et qu’elles ont fait leur. Il les place, avec leur accord, sous l’ombre tutélaire de l’homme.

Des solutions pour parcourir le long chemin vers l’égalité

Combattre les idées reçues. il est bon de rappeler qu’il y a toujours eu des hommes éclairés capables de considérer que les femmes avaient leur place dans la culture et l’édification du savoir humain. Nous l’avons déjà amplement démontré dans nos premiers articles.

Encourager à poursuivre des études dans les divers domaines de la science et non pas seulement dans les carrières médico-sociales où nombre d’entre elles se réfugient, les renseigner sur le fait qu’il existe des bourses d’études ou de projets dédiées aux femmes scientifiques et les aider à défendre leurs droits en matière de salaire.

Créer des outils pour aider les femmes à se promouvoir. Plusieurs associations promeuvent les femmes de science, quelle que soit leur spécialité, et encouragent les filles à ne pas se laisser influencer par ces idées préconçues. « Femmes et mathématiques », » Femmes et Sciences », « Elles bougent », « 100 000 entrepreneurs » et bien d’autres encore que je ne peux pas toutes citer travaillent au quotidien pour aider les filles et les femmes à sortir de l’invisibilité où les condamne la société et à prendre toute la place qui leur est due.  Des associations de culture scientifique comme Fermat Science, à Beaumont de Lomagne, ont mis en place un panel d’outils pour promouvoir la science auprès des jeunes, garçons et filles : Visite d’exposition, initiation à la place des femmes dans l’histoire des sciences, rencontres avec des femmes ayant choisi de s’assumer, renseignements sur les possibilités de formation et de carrières qui s’offrent aux filles aussi.             

Ce n’est pas être rebelles que de refuser l’archétype de la femme soumise, charmante, dévouée, faisant abstraction de soi. Les femmes aussi peuvent avoir un destin. Si on ne leur donne pas leur place, elles sont en droit de la revendiquer d’autant que le combat des femmes pour accéder au savoir n’est pas qu’un combat pour les femmes.

On pourrait à cet égard reprendre la démonstration de l’historien Yuval Noah : le savoir comme l’amour est une des rares denrées qui s’enrichit du partage. Les femmes, en devenant savantes n’amputent pas le savoir des, hommes, elles l’amplifient, l’enrichissent. Le partage, dans ce cas, n’est pas une privation mais une richesse.

 La mixité est un contrat gagnant-gagnant.  Elle a un impact sur l’ambiance dans les collectifs de travail et permet d’apporter des éclairages différents sur les sujets et la méthodologie. S’il faut en croire Agnès Netter, directrice de la mission pour la place des femmes au CNRS citée dans le numéro spécial : « Tout souci d’équité mis à part, favoriser la mixité des équipes est, à coup sûr, un gage d’excellence pour le CNRS à l’heure où le monde de la recherche est de plus en plus ouvert et concurrentiel »

Quelques siècles auparavant, l’italienne Maria Agnesi, mathématicienne autodidacte, lectrice de Descartes, Newton, Leibniz, Euler, qui a écrit plusieurs traités de géométrie analytique et étudié la courbe cubique qui porte son nom s’était déjà exprimée à ce propos. Nommée à l’académie des sciences de Bologne, elle a écrit en 1738, dans son « Plaidoyer pour l’éducation des femmes » : « La nature a doté l’esprit féminin de la faculté de comprendre toutes les connaissances. En privant les femmes de la possibilité de s’instruire, les hommes travaillent contre le plus grand intérêt du public », un terme qu’on remplacera avec profit par : de l’humanité.

En ce début du XXIe siècle Le message délivré par l’écrivaine Benoîte Groult en 1977, reste plus que jamais d’actualité : " Aujourd’hui, le féminisme n’est plus masculin ou féminin, il est en train de se fondre dans l’humanisme, que Renan définissait comme « l’estime et l’amour de l’humanité ondé sur la croyance en la perfectibilité du genre humain » « Comment ne pas lutter ensemble pour une cause qui concerne la moitié de l’humanité ? " 

Pendant des millénaires, les êtres humains se sont privés d’un potentiel d’évolution inouï. Quand on pense que la plupart des femmes qui ont réussi en matière scientifique sont des autodidactes, on rêve de ce que pourrait devenir une société qui jouerait la carte de l’égalité et donnerait à tous, femmes comprises, l’accès au savoir.

Ce qui vient à l’esprit devant un tel gâchis, c’est : que de temps perdu !